Concernant les cauris, Ciré, j'ai lu le fameux article dont tu parles. Il est très instructif. Il est composé de deux parties.Outre les boutres arabes, on peut aussi ajouter, comme tu l'as noté, les navires hollandais et anglais. Toutefois, les Français ont vite perçu l'intérêt de se fournir en cauris par eux même, cela leur revenaient beaucoup moins cher.
Dans les navires de la compagnie des Indes françaises, deux navires ont attiré mon attention : La Badine (1730-1732) et la Vierge de Grâce (1729-1732) avec leur voyage presque circumpolaire.Les deux navires ont fait une campagne intéressante : Lorient, Sénégal, Gorée, cap de Bonne-Espérance, île de France, Bourbon, Inde, Lorient. La Vierge de Grâce : Lorient, Sénégal, Gorée, île de France, Inde, Lorient.
Ces deux navires sont passés par les côtes sénégalaises (embouchure du fleuve Sénégal et île de Gorée) avec ensuite passage par l'île de France (l'île Maurice). Je suis en train de consulter leur journal de bord, mais il serait intéressant de retrouver les registres des cargaisons qui pourraient me permettre de retrouver des traces d'achat de cauris en roupies de Pondichéry.
Pourquoi j'insiste autant sur les cauris, c'est pour la bonne et simple raison que les Français utilisent ces coquillages pour l'achat d'esclaves auprès des Maures qui longent le fleuve Sénégal et des marchands d'esclaves africains près de Ouidah au Bénin. Gildas Salaün, dans ses articles sur la relation entre achat d'esclaves par les Français et les cauris, a expliqué que durant le XVIIIe siècle, un système a été mis en place pour fabriquer à moindre frais des monnaies d'argent.
Selon le système économique du colbertisme (avoir le plus possible de métal d'argent sans pour autant dépenser une tonne d'argent pour en avoir), les monnaies d'argent produites en France et à Pondichéry étaient fabriquées avec des monnaies gourdes. Ces monnaies gourdes étaient les monnaies de 8 reales frappées au Pérou ou en Espagne.
Comment ces monnaies étaient-elles captées ?
Pendant longtemps, le mythe de la piraterie a été privilégié, mais en réalité, le plus grand marché aux esclaves de l'époque moderne était français : Saint Domingue. Là, les esclaves "fraîchement" arrivés d'Afrique sont vendus à l'espagnol, soit contre des monnaies espagnoles ou hollandaises avec une forte teneur en argent. Les monnaies captées sont ensuite ramenées vers la métropole où elles sont divisées en deux catégories :
- celles qui vont être transformées dans les ateliers français
- celles qui vont être transformées en roupies de Pondichéry.
C'est là que la Compagnie des Indes prend tout son sens. Elle transporte les monnaies gourdes jusqu'en Indes, de manière privilégiée Pondichéry. Les roupies émises servent alors à acheter des produits recherchés par la métropole. Selon Toyomu Mazaka (spécialiste des échanges monétaires au XVIIIe siècle), les roupies servent aussi à acheter des produits qui feront du lest, mais pas forcément enregistrés sur les registres de la Compagnie (contrebande ou simplement enrichissement du capitaine....les deux je dirais). Ces cauris embarqués servent de lest aux navires. Arrivés à lorient, Nantes ou Bordeaux, ces tonnes de cauris sont laissés dans les cales du navire et emmené directement en Afrique pour être échangés contre des esclaves ou même des peaux d'animaux.
Dans des registres de traite, 'j'ai retrouvé le prix que coûtait un jeune homme de 18 ans en bonne santé : 45 000 cauris ; une femme de 18 ans en bonne santé : 30 000 cauris et un enfant 15000 cauris. Les peaux d'animaux et les défenses d'éléphant (morfil) ou d’hippopotame (défense de rivière) coûtaient entre entre 45 000 et 50 000 cauris les 10 morfils.
Lors de mes recherches à la BnF, j'ai constaté que les comptoirs sénégalais (Saint-Louis, Gorée et Portendick) étaient les étapes incontournables sur les routes commerciales de l'époque. J'ai même émis l'idée que le Sénégal pouvait être considéré comme un grand carrefour commercial de type hub and spoke. Des marchandises arrivent, sont déposées dans des arsenaux, puis chargées dans d'autres navires ou dans des caravanes afin de déservir d'autres grands marchés internationaux. J'ai aussi pu remarqué que presque tous les jeunes employés de la Compagnie des Indes faisaient leurs armes à Gorée ou à Saint-Louis, voire même dans des comptoirs intérieurs comme Richard-Toll le long du fleuve Sénégal.
Donc si je pouvais continuer à développer mon idée et expliquer que le Sénégal était relié par voie de mer aux comptoirs indiens, cela me permettrait de renforcer ma démonstration : Un double commerce triangulaire existait et s'entrecroisait avec le commerce triangulaire atlantique. Nous n'aurions pas eu un monde économique fermé, mais un monde économique ouvert que l'on pourrait comparer à notre actuelle mondialisation.
J'espère ne pas avoir perdu trop de membres avec ma réflexion



